Le Passeur
 
J’aime la lumière.
 
Elle est le véhicule privilégié de ma sensibilité, de mon œuvre.
 
Elle coule dans le fleuve de nos vies, elle irradie notre univers.
 
Elle ouvre la porte.
 
La lumière a ceci d’unique, d’être à la fois de nature corpusculaire et ondulatoire, matérielle et immatérielle.
 
Et pour moi, l’artiste se doit d’être un passeur, précisément du matériel vers l’immatériel, du réel vers l’imaginaire, vers la sensibilité pure.
 
Quoi de plus naturel, pour un tel engagement, que le choix de la lumière comme vecteur de ses propositions.
 
La lumière comme médium, donc, mais pourquoi pas comme finalité ?
 
Ai-je vraiment choisi la lumière ? Ne s’est-elle pas imposée ?
 
La lumière parle.
 
Je l’entends,
 
Parfois
 
 
Eric,
Rome 2007
 
 
 
The Boatman
 
 
I am in love with light.
 
It is the most favoured medium of my sensitivity, of my work.
 
It flows in our lives, it irrigates our universe
 
It opens the door.
 
Light has this unique feature, to be both corpuscular and undulatory in nature, both material and immaterial.
 
And for me, the artist shall be a boatman, precisely from the material toward the immaterial, from the real toward the imaginary, toward pure sensitivity.
 
What a better vector than light to achieve this goal ?
 
Light as medium then, but why not as a finality ?
 
Did I really choose light ? Didn’t it impose itself upon me ?
 
Light talks.
 
I hear it,
 
Sometimes.
 
 
Eric,
Rome, 2007
 
***
 
Passages de Lumière, Musée d'Art Moderne et d'Art Contemporain (MAMAC), Nice 
 

Le travail d’Eric Michel s’appréhende par couches successives de sensations. Car si l’art conceptuel traverse son œuvre, celle-ci reste intimement liée au domaine du ressenti. Sa quête de l’immatériel n’est pas une pure abstraction. Chaque installation est un moyen d’en faire l’expérience. L’artiste interroge nos rapports au réel, jouant sur la frontière du matériel et de l’immatériel, tel un intermédiaire, un « passeur », selon ses mots[1]. Mais Eric Michel a bien conscience de l’inaccessibilité du but qu’il s’est fixé. Seul compte pour lui l’exploration. Le cheminement prévaut sur la finalité.  A la différence du charismatique Yves Klein qui nous offrait les « cendres de son art », Eric Michel est bien décidé à nous faire partager ses expériences physiques et spirituelles.

 

D’abord la dimension haptique de son travail surprend et cette sensation de « toucher du regard » nous envahit. Vient s’ajouter à cet effet purement physique une émotion, une résonnance intérieure. La source lumineuse qui éclaire, qui révèle -question récurrente en histoire de l’art- devient un sujet en soi et trouve sa puissance magnétique dans le monochrome et les couleurs fluorescentes. Loin de révéler un univers aseptisé, néons et pigments purs, hérités de l’esthétique des années soixante-dix, créent une atmosphère transcendantale neutre. Ce « bain lumineux » confère à l’espace une dimension tout à fait autre et alimente l’ambivalence entre fascination et retrait. L’artiste déstabilise notre perception et parvient à créer des « états visuels particuliers » comme disait Donald Judd au sujet de Dan Flavin.

 

La matérialité de la lumière nous absorbe jusqu’à nous plonger dans une profonde immersion propice à la méditation. Ce même phénomène d’imprégnation que James Turrell met en œuvre dans ses installations. Là aussi on refuse tout pathos. Aucune visualisation d’un sentiment, encore moins d’un moi intérieur. Le sujet est évacué au profit de l’effet. Eric Michel nous invite à faire l’expérience de la Profondeur ; mais qu’est-ce que la Profondeur sinon quelque chose d’ineffable ?

 

 

 

Rébecca FRANCOIS

Historienne de l’art contemporain



[1] On n’est pas loin du roman éponyme de Lois Lowry ou de la vision prophétique de l’art de Kandinsky.